Présentation

Le Monde et l'Europe était en pleine mutation. Premiers pas de cette mutation était la chute du mur de Berlin. Le Concours Eurovision de la Chanson 1990 eut lieu alors que l'Allemagne était en pleine phase de réunification. Quelques mois plus tard, le 31 août 1990, un traité célébrera cette réunification. Cet évènement aura des conséquences très heureuses en Europe, un vent de liberté soufflera sur plusieurs nations. Ces bouleversements sont à l'origine de la multitude de nouveaux pays qui souhaitèrent participer au Concours Eurovision de la Chanson dans les années 90, l'intégration de ces nouveaux pays continue encore de nos jours.
Après cette première victoire d'un pays communiste, la Yougoslavie se préparait à l'organisation du Concours Eurovision de la Chanson 1990. Le groupe Riva, interprète de la victoire Yougoslave à Lausanne, était de nationalité Croate. C'est presque tout naturellement que l'Eurovision était organisé dans cette république, et plus précisément dans sa capitale Zagreb. La date de la Finale était fixée au 5 mai. Les mêmes pays qu'en 1989 étaient en compétition.
À Malte, des discussions avaient eu lieu au sein du Parlement et du Gouvernement, pour le retour de ce pays dans les participants au Concours Eurovision de la Chanson. C'était une demande des auteurs et compositeurs de l'île qui souhaitaient trouver des débouchés pour leurs chansons sur le continent Européen. Toutefois, l'UER se retrouvait confronté à un problème de temps. Le dépassement d'horaire de l'Eurovision 1989 avait été jugé sévèrement par certaines télévisions et par l'UER qui souhaitaient que le programme soit bouclé en trois heures. Pour ne pas compliquer la tâche des organisateurs, il fût décidé que l'Eurovision 1990 ne pourrait pas avoir plus de 22 participants.
Pour l'organisation de ce Concours, rien ne fût laissé au hasard. La RTZ (Radio Télévizija Zagreb) était bien sur chargée de la production exécutive de l'émission. La chaîne croate donna une orientation très moderne au Concours, prévoyant même des bulletins pour informer les fans et la presse régulièrement pendant l'année précédent le concours. Le logo exprimait bien cette modernité, sa conception a été déclinée dans une multitude de couleurs différentes. Cette bouche en forme du e de Eurovision est due à Boris Ljubicić. La salle de concerts Vatroslav Lisinski a été choisie comme théâtre des opérations. Cette salle est très réputée dans le monde de la musique classique. Le décor était très moderne, il consistait principalement en un tableau à carreaux au fond de la scène qui s'animait au rythme des chansons. De part et d'autre de la scène les deux écrans géants.

La désignation des présentateurs ne s'est pas faite aussi rapidement. Contrairement aux années précédentes, ils n'ont été connus que quelques semaines avant la Finale, comme si on avait voulu jusqu'au dernier moment trouver le meilleur duo pour présenter ce programme. Un couple de jeunes présentateurs étaient favoris à un moment, mais il semblerait que leurs aptitudes en anglais et français n'étaient pas suffisantes. Finalement, on annonça les noms de deux présentateurs croates professionnels, plus âgés mais plus expérimentés. Helga Vlahović parle Croate, Allemand et Anglais et est une grande spécialiste des émissions internationales, elle avait présenté une multitude de duplex de la télévision croate avec les autres télévisions européennes. Elle s'illustra aussi dans la présentation d'une émission de trois heures à Munich lors des Jeux Olympiques dans cette ville en 1972.
Oliver Mlakar, de formation linguistique parle le Croate, le Français, l'Italien et le Russe, il était à cette époque le présentateur vedette de la télévision de Zagreb en raison des émissions de jeu très populaires qu'il présentait.
On pourrait presque penser qu'il y avait trois présentateurs. Sauf à considérer qu'un personnage de dessin animé puisse être un présentateur. Eurocat, c'est son nom, était la première mascotte au Concours Eurovision de la Chanson. Avec humour il apparût sur le film d'introduction et ensuite présenta chaque pays en jouant une scène caractéristique pour chacun d'eux et juste avant l'entrée en scène de l'artiste, Eurocat le prenait en photo. Le père de Eurocat est Josko Marusić.
Un point du règlement avait changé, depuis 1990 les artistes doivent avoir 16 ans dans l'année du Concours. Cette règle fût ajoutée pour pallier à l'arrivée d'enfants chanteurs, deux pays avaient eu recours à ce genre d'artistes l'année passée, dont la France.
Après un film sur la musique à Zagreb et en Croatie, Helga présenta le programme en anglais et Oliver en français. Ils ne sont pas intervenus pour présenter les chansons, toutefois Helga est intervenue entre le Royaume-Uni et l'Islande pour parler en anglais des pays qui retransmettaient le Concours. Olivier juste après la chanson Yougoslave parla en français du thème du tourisme retenu pour les cartes postales.
Espagne, Grèce
Le premier pays à entrer en scène était l'Espagne. Catastrophe au début de la chanson des sœurs Salazar, quelques secondes après le début de "Bandido" elles sortirent de scène se plaignant de ne pas avoir le retour sonore sur scène. Le chef d'orchestre arrêta la musique, les musiciens qui accompagnaient le duo Azucar Moreno (Sucre Brun) continuaient la chorégraphie pour détendre l'atmosphère. Tout rentra dans l'ordre rapidement, et Encarna et Toni purent chanter leur titre flamenco-rock. La contribution espagnole très professionnelle et bien orchestrée était un concurrent sérieux.
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Azucar Moreno (Espagne) |
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Christos Callow (Grèce) |
Un autre pays méditerranéen, la Grèce, continuait le concours, heureusement sans incident et "Sans But" le chanteur grec Christos Callow donna une ballade de variétés.
Belgique, Turquie
Autre artiste professionnel, Philippe Lafontaine s'était fait connaître quelques années plus tôt avec son tube "Cœur De Loup". Sa démarche était ici anti-commerciale. Sa femme est yougoslave, et Philippe voulait lui faire une déclaration d'amour enflammée. Lorsqu'il apprit que l'Eurovision serait organisé en Yougoslavie, il contacta la RTBF pour représenter la Belgique à ce Concours, avec une chanson, déclaration d'amour qu'il avait écrite pour sa femme. La RTBF accepta sa proposition et Philippe Lafontaine ne réalisa que quelques exemplaires de son disque à des fins de promotion, il cassa lui même, symboliquement la matrice de ce 45 tours qui ne se trouva jamais dans le commerce.
Kayahan Açar était auteur et compositeur de la chanson turque. Captif du regard de sa belle, sa chanson était une ballade romantique et poétique, qu'il interpréta lui même à la guitare.
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Philippe Lafontaine (Belgique) |
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Kayahan Açar (Turquie) |
Pays-Bas, Luxembourg
Un autre duo féminin, Maywood, représentait les Pays-Bas, elles avaient composé elles mêmes leur chanson. C'était une ballade très classique et magistrale qu'on peut traduire par "Je partagerais tout avec toi".
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Maywood (Pays-Bas) |
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Céline Carzo (Luxembourg) |
C'est Orlando, le frère de Dalida, qui produisait la chanson Luxembourgeoise. Céline Carzo à qui il fût attribué avec humour le Prix du Sourire (elle ne souriait jamais), interpréta une ballade mélancolique sur l'absence.
Royaume-Uni
Au Royaume Uni, on frisait avec la nouvelle règle de l'âge des artistes. Emma n'avait en effet pas encore 16 ans quand elle chanta "Give a little love back to the world" (Donne un peu d'amour en retour au monde). Ce titre un peu trop long, pour une chanson que l'on pourrait qualifier de "band aid" qui étaient très à la mode à cette époque.
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Emma (Royaume-Uni) |
Islande, Norvège
L'Islande aussi jouait une forte carte. Le groupe Stjórnin (le Gouvernement) interprétait une chanson de plus, comprenez que c'était la traduction de leur titre pop bien rythmé et chorégraphié. L'Islande obtint cette année là enfin un bon résultat, après quatre ans de mauvais classements.
Il fallait s'y attendre, la chute du mur de Berlin allait inspirer les auteurs. Ici la chanson Norvégienne titre directement sur la Porte de Brandebourg, ce monument était au centre de cette ligne de démarcation. Ketil Stokkan avait déjà été l'interprète pour la Norvège en 1986 à Bergen.
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Stjórnin (Islande) |
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Ketil Stokkan (Norvège) |
Israël
Rita n'avait, elle, pas été sélectionnée pour représenter Israël en 1986 (voir l'article dans les histoires de 1986). La télévision israélienne toujours à la recherche de chansons de qualité, avait décidé de ne pas faire de finale nationale cette année là. Elle confia le soin à Rita, artiste devenue très populaire dans son pays, de représenter l'état hébreu. Sa chanson, parle de l'amour qui s'éteint, et elle fera tout pour le garder. Rita donna une interprétation émouvante de sa ballade, sa voix y était incomparable. Elle étonna tout le monde en finissant sa chanson sur les genoux.
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Rita (Israël) |
Danemark, Suisse
Lonnie Devantier une adolescente sympa représentait le Danemark. Elle chantait le coup de fil passé à son fiancé pour lui avouer son amour. Le rythme était entraînant. Elle était accompagnée de deux danseurs sur la scène.
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Lonnie Devantier (Danemark) |
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Egon Egemann (Suisse) |
La chanson helvétique était au cœur d'une polémique. En effet, un artiste yougoslave revendiquait d'avoir écrit cette chanson dans le passé, accusant du coup les auteurs suisses de plagiat. Après étude et interventions officielles, l'affaire s'arrêta là. Egon Egemann put présenter sa chanson en allemand sur une musique universelle. Il s'accompagnait lui même sur un violon blanc.
Allemagne

Même en pleine réunification, l'Allemagne défendait ses couleurs. Un duo composé d'un croate et d'une allemande présentait "Libre d'Aimer" une ballade de variété bien interprétée, par Daniel Kovac et Chris Kempers.
France
En France il y avait du nouveau. Marie-France Brière prît la tête du Service Divertissements d'Antenne2, et à ce titre était responsable du devenir du Concours Eurovision de la Chanson sur la chaîne publique. Après analyse des contre performances obtenues les années précédentes avec des artistes tous oubliés, sa première décision était de ne plus faire participer la France à ce Concours. La Direction d'Antenne2 n'approuva pas ce choix, considérant que cela faisait partie de sa mission de Service public. Marie-France demanda alors d'avoir une liberté totale quand aux destinées de la participation française. Sa première décision fût de ramener le choix de la chanson française à Antenne2 et à son équipe en particulier. Elle voulu une chanson d'un grand auteur et compositeur, inspirée d'un rythme brésilien qui lui avait plu. Le grand auteur/compositeur était connu à l'Eurovision pour avoir signé une victoire luxembourgeoise en 1965 : Serge Gainsbourg. Le thème de la chanson étant la dénonciation du racisme, Marie-France et Serge contactèrent une artiste Guadeloupéenne Joëlle Ursull, mannequin, danseuse et bien sur chanteuse notamment au sein du groupe Zouk Machine, elle entamait une carrière solo. La participation française qui était en danger au départ, ressortait grandie grâce à une équipe très professionnelle.
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Joëlle Ursull (France) |
On disait de cette chanson que c'était un bâton de dynamite sur la scène de l'Eurovision. Entourée de tambour, Joëlle habillée de rouge interpréta merveilleusement le titre de Serge Gainsbourg. Chantant et dansant avec ses musiciens.
Yougoslavie
Tajči la représentante de la Yougoslavie était devenue très populaire depuis qu'elle avait gagné la finale nationale. Dans toute la ville de Zagreb, pendant la semaine de l'Eurovision on voyait ses photos partout. Avec son look à la Marylin Monroe, elle nous entraîne à faire les fous, dans un titre très rythmé.
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Tajči (Yougoslavie) |
Portugal, Irlande, Suède
Le Portugal aussi joue une chanson rythmée sur la présence de l'être aimé : "Il y a toujours quelqu'un" par Nucha.
L'Irlande nous invitait à un tour de l'Europe, à travers une histoire d'amour qui conduirait les amants à Trafalgar square ou sur les Champs Élysées. Un bon titre de variétés interprété par Liam Reilly.
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Liam Reilly (Irlande) |
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Edin-Ådahl (Suède) |
Le groupe suédois consistait en deux duos composés chacun de deux frères, les frères Edin et les frères Ådahl, d'où le nom de leur groupe. Ils présentaient une chanson où ils veulent être touchés par l'amour comme par une tempête à l'intérieur d'eux mêmes.
Italie
Un chanteur très populaire dans plusieurs pays d'Europe représentait l'Italie : Toto Cutugno. Tout le monde en France connaissait son méga tube "L'italiano", il y avait aussi "L'Été Indien" chanté par Joe Dassin et bien d'autres tubes aussi. Ici il interprétait une chanson sur l'Union Européenne "Ensemble : 1992". Il était accompagné sur scène par le groupe qui avait représenté la Yougoslavie en 1976 Ambassadori.
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Toto Cutugno (Italie) |
Autriche, Chypre, Finlande
En 1990, l'Autriche avait organisé une finale nationale un peu mouvementée. L'une des artistes participantes avait effectivement été frappée d'un malaise en interprétant sa chanson. Ce qui ne l'empêcha pas de gagner et de se voir confié la tâche de représenter l'Autriche. Toutefois quelques semaines plus tard, il s'avéra que sa chanson avait été publiée avant la date prévue par le règlement du Concours Eurovision de la Chanson, rendant sa participation à Zagreb impossible. En fait "Keine mauern mehr" est la chanson qui s'était classée deuxième au cours de cette finale. Directement inspirée des évènements chez ses voisins allemands, la chanson rassemble autour d'une idée de pays sans frontières. Simone défraya la chronique car elle posa nue pour un magazine quelques temps avant l'Eurovision.
Chypre aussi avait organisé une finale nationale. Le jeune Anastazio auteur/compositeur de sa chanson avait l'air très heureux sur la scène en chantant son titre euro-pop, une bonne chorégraphie en tous cas.
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Simone (Autriche) |
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Anastazio (Chypre) |
La dernière chanson était celle de la Finlande. Pour la première fois ce pays était représenté par une chanson en Suédois. Il existe une minorité suédophone en Finlande, permettant aux artistes de ce pays d'utiliser cette langue. "Fri" (Libre) était un pseudo-rock interprété par le groupe Beat.
Entracte, vote
Pour l'entracte, la Télévision croate proposa un film sur la diversité qui régnait en Yougoslavie. Il faut rappeler que ce pays fédéral à cette époque était composé de 6 républiques autonomes : la Croatie, la Slovénie, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie et le Monténégro. Ces républiques composaient autant de nations, de cultures, de religions différentes... c'était le sujet du film, lancé par Eurocat.
Une innovation est mise en place cette année là pour le vote. Les jurys sont désormais composés pour moitié de membres du public et pour l'autre moitié de professionnels de la musique et de l'édition du disque. La façon de voter était rigoureusement identique.
Un léger incident de vote se produisit avec le porte parole du jury italien. Il annonça qu'il allait donner les résultats du jury espagnol, ce qui fît réagir immédiatement Oliver Mlakar, Frank Naef le scrutateur demanda simplement qu'on recommence le vote italien depuis le début.
Résultats
L'Italie prit la tête rapidement et Toto Cutugno assura une seconde victoire italienne, 26 ans après Gigliola Cinquetti. La France et l'Irlande au coude à coude à la seconde place. La France a fait un vote remarquable, mettant souvent en difficulté le concurrent italien. L'Islande enfin 4e, une bonne performance.
Le retour de Toto Cutugno sur scène se fît à l'italienne... c'est à dire dans le désordre. Déjà les amis de l'artiste avaient trop fêté sa victoire et avaient maculé de vin sa tenue de scène. Ensuite c'est dans une bousculade qu'il arriva sur la scène pour recevoir son prix. Il provoqua une autre bousculade des photographes lorsqu'il descendit dans la salle pour réinterpréter sa chanson devant le Président Yougoslave, présent dans l'audience.
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Toto Cutugno (Italie) reçoit son prix du producteur exécutif Goran Radman |
La chanson de Toto Cutugno connu un bon succès, atteignant un bon classement au Top50 français. Tout comme "White And Black Blues" qui fût très appréciée également. Le choix de Marie-France Brière avait renoué le public français avec l'Eurovision.
Après le concours Marie-France Brière n'était semble-t-il pas satisfaite du résultat, et dénonça dans la presse l'irrégularité du jury italien, qui selon elle n'avait pas existé. Elle prétendait que le vote italien était inventé de toute pièce et qu'elle allait porter une réclamation à l'UER. L'Union Européenne n'a toutefois jamais reçu cette réclamation.