Dans le milieu des années 50, au cours des réunions de l'U.E.R., les représentants Italiens sont intarissables à propos d'un nouveau Festival de chansons Italiennes, organisé par la RAI (Télévision Italienne). Ce Festival de Sanremo semblait avoir énormément de succès. À cette époque, les jeunes télévisions cherchaient sans cesse des émissions nouvelles pour enrichir leurs grilles de programmes. C'est alors que vient à l'idée d'un responsable Suisse, Marcel Bezençon, d'internationaliser ce Festival de Sanremo en lui donnant une dimension européenne.
Après moult propositions, on arrivait sous la plume de Marcel Bezençon à élaborer le premier règlement pour une première édition de ce qu'on appelait "Le Grand-Prix Eurovision de la Chanson Européenne", nom donné pour la première fois par un journaliste britannique. Ce règlement jetait les bases d'une formule dont certains éléments existent encore aujourd'hui où n'ont été réformés que récemment.
Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, l'Eurovision n'a jamais eu pour objectif de donner leur chance à des artistes débutants. En fait les différents pays participants choisissent comme ils l'entendent la chanson devant les représenter. Ils ont une totale liberté quand au professionnalisme éventuel des artistes ou leur nationalité. Souvenez-vous : Céline DION a gagné l'Eurovision en représentant la Suisse. L'objectif de l'Eurovision tremplin de nouveaux artistes a par contre été souvent affiché par les pays participants pour leurs sélections nationales.
Il fût décidé de donner à la Suisse l'occasion d'organiser la première finale Européenne. La télévision helvétique choisit alors Lugano dans le Tessin qui offrait de bonnes conditions pour l'organisation de l'accueil des délégations. Le 24 mai 1956 l'Europe avait rendez-vous avec la chanson.
Le 1er Grand-Prix Eurovision de la Chanson Européenne, fût présenté par Lohengrin Filipello en direct du Teatro Kursaal de Lugano. La Suisse Italienne hôtesse de la compétition ne possédait pas encore de service de télévision, la Société de Radio Suisse Italienne dut pour l'occasion s'associer à la Télévision Suisse Allemande qui envoya sur place un car de reportage.
Le public se pressa nombreux au Teatro Kursaal, par curiosité pour ce nouveau challenge Européen, et aussi pour voir la prestation du Quartet Radiosa, très apprécié en Suisse à cette époque et qui accompagnait la représentante Suisse.
Pour cette première édition sept pays présentaient chacun deux chansons. Ce furent les Pays-Bas, la Suisse, la Belgique, l'Allemagne, la France, le Luxembourg et l'Italie. Trois autres pays auraient dû participer : Autriche, Danemark et Royaume-Uni mais leurs candidatures sont parvenues trop tard à l'UER. L'ordre de passage fût tiré au sort, les pays pouvant choisir la chanson qu'ils souhaitaient voir chanter en premier. Chaque pays pouvait désigner son propre chef d'orchestre ou bien se fier aux services du chef d'orchestre du pays d'accueil. Après présentation en italien des 14 chansons en compétition, "les joyeux rossignols" interprétèrent une de leurs uvres. Il s'agissait d'airs de musique sifflés.
Il n'y eut pas de votes public pour cette édition. Chaque pays avait délégué sur le lieu du Concours deux "juges" qui étaient chargés de noter chacune des chansons, y compris celles de son propre pays. Après addition des points recueillis par chaque titre, le Président du Jury annonça simplement le nom de la chanson gagnante. Il n'y avait pas d'exigences concernant la nationalité des juges en question, ce qui permit au Luxembourg de recruter ses juges en Suisse. Est-ce cela qui a facilité la victoire de la confédération organisatrice ? Nous ne le saurons jamais, c'est en effet Lys ASSIA sous les couleurs de la Suisse qui remporte la victoire avec la chanson "Refrain". Il était déjà d'usage à cette époque que la chanson gagnante soit reprise en fin d'émission. Lys ASSIA offrait alors son "Refrain" une deuxième fois au delà des frontières de la Suisse grâce à la retransmission. L'émotion était à son comble, si bien que Lys dût interrompre cette deuxième interprétation en s'excusant auprès de l'orchestre "je suis tellement émotionnée" dit-elle... Elle reprit donc à nouveau et termina son interprétation. "Refrain" connut un bon succès si on se souvient qu'à cette époque le marché du disque était en phase d'abandon du 78 tours.
2e Grand-Prix Eurovision de la Chanson Européenne 1957 à Francfort Sur Le Main en Allemagne, Présenté par Anaid Iplikjian
Après le succès de la première édition l'U.E.R. poursuivit en organisant une nouvelle fois ce concours. Certains aménagements furent décidés par rapport à l'année précédente. Chaque pays ne présenterait plus qu'une chanson, quand au vote on lui donnait les grandes lignes qui ont fait la réputation du Concours : chaque pays désignait un jury de 10 membres réunis dans leurs pays respectifs. Chacun d'eux devait donner sa voix à la chanson qu'il jugeait la meilleure à l'exception de son propre pays. Après l'interprétation des chansons chaque jury était appelé au téléphone et communiquait au public les voix attribué à chaque chanson. Chaque pays attribuait donc dix voix au total. Une addition de ces voix s'inscrivait sur un tableau mécanique actionné manuellement par une opératrice. Par ce système on ne connaissait plus seulement le nom du vainqueur mais l'ensemble du classement pour tous les participants. Le lieu et l'organisateur du 2e Grand Prix Eurovision était Francfort Sur Le Main et la Télévision Allemande. On installa la scène pour le 3 mars, dans un Grand Studio de la H.R. (Télévision Hessoise en Allemagne).
Cette année là dix pays ont décidé de prendre part à ces joutes chantées. Les sept pays de 1956 étaient rejoint par le Royaume-Uni, le Danemark et l'Autriche. Les chansons ont été présentées en Allemand par Anaid Iplikian (photo) dans un décor qui s'associait à chaque fois au thème des chansons présentées.
Les représentants danois Birthe Wilke & Gustav Winkler, qui participaient donc pour la première fois, furent les acteurs un peu malgré eux d'un record inégalé à ce jour : le plus long baiser sur la scène de l'Eurovision. À la fin de leur chanson qui parlait du marin qui part prendre la mer et son épouse qui promet de l'attendre, il était prévu qu'ils s'embrassent et que les caméras tournent alors discrètement leurs objectifs vers l'orchestre pour la note finale. On ne sait pas pourquoi, mais le mouvement de la caméra n'a pas eu lieu et les téléspectateurs assistèrent à ce long baiser d'adieu des deux amoureux.
On passa directement de la dernière chanson à l'appel des jurys, dans le sens inverse de l'ordre de passage. Puisque les pays ne votaient pas pour eux même, le dernier pays avait eu le temps pendant le passage de sa chanson pour établir son vote. Chaque pays pouvait annoncer son vote en Anglais, Français ou Allemand. La chanson déclarée gagnante avec 31 points fût "Net Als Toen" (Tout Comme Avant) interprétée par Corry Brokken présentée par les Pays-Bas. Une ballade nostalgique, incluant un solo de violon magnifique. La France se classa honorablement 2e avec "La Belle Amour" nom donné par la chanson à une guinguette des bords de la Marne où les amoureux aiment à se retrouver.
3e Grand-Prix Eurovision de la Chanson Européenne 1958 à Hilversum aux Pays-Bas, Présenté par Hannie Lips
Pour la première fois on institua que le pays vainqueur devait organiser le Grand-Prix l'année suivante. C'est donc les Pays-Bas vainqueur de 1957, qui organisèrent la compétition le 12 mars 1958 dans un studio de la Télévision à Hilversum. Dix Pays prenaient part à ce 3e Grand-Prix, le Royaume-Uni s'absentait un an et la Suède faisait ses débuts. L'organisation était originale en ce sens que la présentatrice Hannie Lips n'est intervenue que pour appeler les pays à voter. Il n'y eut en effet aucune présentation des chansons qui s'enchaînaient donc les unes après les autres. Autre particularité, à mi-course dans l'ordre de passage des chansons, l'orchestre marqua une pause musicale de quelques minutes avant que l'émission ne continue dans la présentation des chansons. La grande particularité de ce concours est la présence parmi les participants de l'artiste Italien Domenico Modugno. Peu connu chez nous, mais la chanson qu'il présentait cette année là est elle dans toutes les mémoires même des plus jeunes : "Volare". Cette chanson, le premier grand tube de l'Eurovision, a fait le tour du monde et est encore reprise de nos jours. Du fait d'un problème technique sur le réseau Eurovision, cette chanson qui passait en première position, n'a pas été reçue dans l'ensemble des pays participants. Aussi Domenico Modugno interpréta à nouveau sa chanson juste avant le vote. C'est aussi le retour de la première gagnante de l'Eurovision en 1956, la suissesse Lys Assia interprétait un titre mi-italien/mi-allemand, l'histoire de deux personnes qui se rencontrent pour le week end dans le sud de la Suisse "Giorgio". D'après Lys Assia, elle aurait pu remporter la compétition si les paroles n'avaient pas été si polémiques. Le texte fait référence à un plat de Polenta, plat italien et tessinois à base de maïs, mais en Italie la Polenta est aussi un surnom populaire pour désigner la police, ce qui expliquerait que le jury italien ne lui ait pas attribué une note maximale, privant Lys Assia d'une 2e victoire.
Le système de vote était identique à celui de l'année précédente, les pays furent appelés dans l'ordre inverse de leur passage à l'antenne.
Seule nouveauté le vote devait être exprimé obligatoirement en Anglais ou en Français. La France remporta alors sa première victoire "Dors Mon Amour" recueillit un total de 27 points. Cette chanson, dans laquelle André Claveau, grande vedette de l'époque, invitait son amour à s'endormir paisiblement dans ses bras jusqu'au matin. "Volare" se classa 3e.
4e Grand-Prix Eurovision de la Chanson Européenne 1959 à Cannes en France, Présenté par Jacqueline Joubert
Après sa victoire l'année précédente il revenait à la R.T.F. d'organiser l'événement. Cannes célèbre pour son Festival du Cinéma, accueillait cette fois le Grand Prix de la chanson Européenne dans le Palais des Festivals le 11 mars 1959. Par rapport à 1958, le Luxembourg s'absente et le Royaume-Uni fait son retour, la Principauté de Monaco participe pour la première fois ce qui porte le nombre de participants à 11. Pour la présentation des chansons, la télévision française fît appel à l'une de ses figures symbole : Jacqueline Joubert. La speakerine et animatrice très connue et appréciée du public français a présenté en français l'ensemble des candidats et le vote, ce qui valut quelques sourires lorsqu'il fallut faire répéter son vote à un pays qui votait en anglais.
Une nouvelle fois pour l'Italie Domenico Modugno signe un succès international "Piove" plus connue sous le nom de "Ciao, Ciao, Bambina", fût également reprise dans de nombreuses langues, en France avec la voix de la chanteuse Dalida.
La chanson allemande devait initialement s'intituler "Heut' Möcht' Ich Bummeln" (Aujourd'hui je veux aller me promener). Les sœurs Kessler, artistes du Lido à Paris, qui devaient interpréter la chanson ont toutefois demandé à en modifier quelques paroles. Le titre devint alors "Heute abend woll’n wir tanzen geh’n" (Ce soir partons danser) ponctué de Hallo boy que d'aucun considèrait comme trop américain. Les paroles modifiées, étaient devenues un peu trop osées (comme : "As-tu le temps ? m'accompagner tu ne diras pas non...").
Une petite modification pour la désignation des jurys, en était désormais exclus les professionnels de l'édition et de la composition musicale. La chanson gagnante fut "Een Beetje" (Un Peu) par Teddy Scholten et représentant les Pays-Bas. Ce pays devient donc le premier à bénéficier de deux victoires. La France se classe 3e avec "Oui, Oui, Oui, Oui" par Jacques Philippe, plus connue interprétée ensuite par Sacha Distel. Particularité de ce concours, à la fin de l'émission on reprit les chansons classées aux trois premières places. C'est la seule année où nous aurons la répétition du trio de tête.